1.La ville renaturée - l’exemple des tours vertes
S'il y a un point sur lequel les écologues sont d'accord, c'est que les villes de demain devront être en phase avec le vivant. Quand on dessine la ville, il faut la penser non pas pour une seule espèce, mais aussi pour les espèces qui nous entourent. L'architecte devient alors ornithologue. Il s'émancipe de l'urbanisme toujours plus centré sur l'Homme pour offrir une belle place aux fleurs, aux plantes et aux arbres. Ces derniers permettent de rafraîchir les zones urbaines par leur ombrage et leur évapotranspiration. De plus, ils contribuent à améliorer la qualité de l'air en absorbant les polluants atmosphériques et en produisant de l'oxygène, et offrent des habitats pour les animaux (pollinisateurs, insectes…)
Il s'agit aussi de perméabiliser les villes dont les sols bétonnés contrarient le cycle de l'eau et favorisent les inondations. Ces villes-éponges hautement résilientes seront capables d'absorber les eaux pluviales dans le sol et les zones humides afin de réguler les inondations urbaines et diminuer la vulnérabilité durant les périodes de sécheresse. Certaines villes (Grenoble, Alençon) valorisent déjà les zones humides et les cours d'eau et laissent s'exprimer un petit peu plus la nature. Cela suppose de remettre en question l'artificialisation des sols et les intérêts économiques à court terme pour donner une place plus importante à la biodiversité en ville.
Si végétaliser la ville semble être la manière la plus durable pour lutter contre le réchauffement climatique, encore faut-il penser à l'appliquer au bâti existant. C'est là où les "tours vertes" vont à contresens de ces principes. Elles sont devenues de véritables vitrines du savoir-faire des architectes comme des constructeurs. C'est à celui qui concevra la plus haute, la plus performante d'un point de vue énergétique, avec l'architecte le plus renommé et le design le plus original. Identifiables dès Le Meilleur des Mondes écrit par Aldous Huxley en 1931, ces chimères sont le symbole d'une ville toujours plus technologique, plus connectée. Pour l’ingénieur spécialiste des low-tech Philippe Bihouix, ces "smart city" rejouent le débat sur la croissance verte : pour lui, "arroser la ville de capteurs pour en optimiser la consommation serait le meilleur moyen de ne pas se poser la question de sa sobriété". Et pour l’expert urbain Carlos Moreno, le technocentrisme « représente la mort de la ville, au sens où il y efface la place du vivant et des interactions sociales qui s’y tissent. »
Pourtant, les villes n’ont-elles pas toujours été intelligentes ?
2.Ville intelligente ou Repenser intelligemment la ville : toute la différence
Il nous semble que c’est notre rapport aux territoires qu’il faut faire évoluer, en favorisant la redistribution des services et des emplois, en œuvrant à une nouvelle attractivité des villes moyennes, des bourgs, des villages et des campagnes. C’est « la ville du quart d’heure », où il est possible de trouver tout ce dont on a besoin dans un rayon de 15 minutes à pied ou à vélo. Si chaque propriétaire de vélo se déplaçait à bicyclette en moyenne 1,6 kilomètre par jour, soit la distance moyenne quotidienne des Danois, le monde réduirait les émissions de CO2 de quelque 414 millions de tonnes par an, soit l'équivalent des émissions annuelles de la Grande-Bretagne (Les échos, 20 août 2022). La dépendance actuelle des humains aux déplacements nécessite de valoriser les modes de transports alternatifs et partagés. Et si l’utilisation de la voiture s’avère nécessaire, pourquoi ne pas opter pour des modèles “pots de yaourt” à une ou deux places ? Il sera toujours possible de louer une voiture plus grande et confortable pour les trajets plus encombrants ou plus longs, qui sont fortement minoritaires. A noter que dans les villes denses ou le foncier est cher, on ne peut pas tout raser pour mettre des parcs ou des gymnases. L’idée serait plutôt d'opter pour du micro-urbanisme, en revitalisant certaines zones (du mobilier urbain, un bâtiment ou une place publique) dans le but de déclencher des réactions en chaîne positives qui vont améliorer la vie du quartier. On appelle ça l’acupuncture urbaine.
Ce modèle est toutefois est moins applicable aux villes dont l'étalement est important. Il s'agirait peut être d'encourager ces métropoles à se développer autour de plusieurs minis centres-villes distincts plutôt qu'à chercher à attirer et à croître de manière centrale.
3. La ville, une finalité ?
En philosophie, la ville relève d’un processus d’utopie, terme dont l’étymologie signifie en grec la négation du lieu. La ville apparaît comme un artifice permettant à l’homme d’échapper à la faiblesse de son état naturel par l'urbanisation. Leur croissance est devenue insoutenable : "le secteur de la construction est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre et engloutit des quantités énormes de ressources, pendant que l’étalement urbain dévore les sols naturels et agricoles.
Et si les villes n’avaient pas vocation à grandir éternellement ? Plus tôt nous protégerons nos terres agricoles, naturelles et forestières de l’artificialisation, plus grande sera notre résilience face aux risques et aux crises écologiques à venir. Au plus vite, les villes doivent – et peuvent – devenir stationnaires" écrit Philippe Bihouix. “Il ne s’agit pas de les figer, mais de les transformer et les embellir, d’exploiter l’immense patrimoine déjà bâti”. Quand on sait que construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit cinq fois plus d’émission de gaz à effet de serre qu’une réhabilitation, il parait évident d’adapter le bâti déjà existant. Il faut limiter les constructions qui sont très carbonées et utiliser en priorité tout le bâti existant pour éviter d’aller chercher encore et toujours de la matière et gaspiller.
Alors pourquoi s'obstine-t’on à développer les villes ? Et si la solution était dans le modèle des shrinking cities "villes en décroissance"? En France comme dans de nombreux pays, en Europe comme en Amérique du Nord, ce concept demeure pour l’essentiel un impensé des politiques publiques. Selon le philosophe Bruno Latour, "ces territoires, incapables de répondre aux impératifs de croissance économique et démographique, peuvent en revanche parfaitement s’adapter au « nouveau régime climatique » qui caractérise notre époque, et sont capables de répondre à un autre impératif, celui de la résilience."
Comme conclut Philippe Bihouix dans "La ville stationnaire" : "C’est notre rapport aux territoires qu’il faut faire évoluer, en favorisant la redistribution des services et des emplois, en oeuvrant à une nouvelle attractivité des villes moyennes, des bourgs, des villages et des campagnes. Désormais les métropoles ne doivent plus attirer et grandir, mais essaimer."
ENGLISH
1 The renatured city - the example of green towers
If there is one point on which ecologists agree, it is that the cities of tomorrow will have to be in tune with the living. When we design the city, we have to think not only for one species, but also for the neighboring species. The architect then becomes an ornithologist. He emancipates himself from the ever more human-centered urbanism to offer a beautiful place to flowers, plants and trees. The latter help to cool urban areas through their shading and evapotranspiration. In addition, they help to improve air quality by absorbing atmospheric pollutants and producing oxygen, and provide habitats for animals (pollinators, insects, and so on). It is also a matter of permeabilizing cities whose concreted soils thwart the water cycle and encourage flooding. These highly resilient sponge cities will be able to absorb rainwater in the soil and wetlands in order to regulate urban flooding and reduce vulnerability during periods of drought. Some cities (Grenoble, Alençon) already value wetlands and waterways and allow nature to express itself a little more. This implies questioning the artificialization of land and short-term economic interests in order to give a more important place to biodiversity in cities. If greening the city seems to be the most sustainable way to fight global warming, we still need to think about applying it to existing buildings. This is where "green towers" go against these principles. They have become veritable showcases for the know-how of both architects and builders. It is up to the person who designs the tallest, most energy-efficient building with the most renowned architect and the most original design. Identified as early as The Brave New World written by Aldous Huxley in 1931, these chimeras are the symbol of an increasingly technological and connected city. For low-tech engineer Philippe Bihouix, these "smart cities" are replaying the debate on green growth: for him, "sprinkling the city with sensors to optimize its consumption would be the best way of avoiding the question of its sobriety.” And for urban expert Carlos Moreno, technocentrism "represents the death of the city, in the sense that it erases the place of the living and the social interactions that take place there.” Yet, haven't cities always been intelligent?
2. The difference between intelligent city or smart rethinking of the city:
We believe that what needs to evolve is our relationship with the territories, by encouraging the redistribution of services and jobs, by working towards a new attractiveness of medium-sized towns, villages and the countryside. It is the "city of the quarter of an hour", where it is possible to find everything, you need within a 15-minute walk or cycle ride. If every bike owner cycled an average of 1.6 kilometers a day - the average daily distance of Danes - the world would reduce CO2 emissions by some 414 million tons a year, equivalent to Britain's annual emissions (Les Echoes, 20 August 2022). The current dependence of humans on travel requires the development of alternative and shared modes of transport. And if the use of a car is necessary, why not opt for one- or two-seater "yoghurt pot" models? It will always be possible to rent a larger, more comfortable car for more cumbersome or longer journeys, which are in the minority.
3. The city: an end in of itself?
In philosophy, the city is part of a process of u-topia, a term whose etymology means the negation of the place in Greek. The city appears to be an artifice enabling man to escape the weakness of his natural state through urbanization. Their growth has become unsustainable: "the construction sector is one of the main emitters of greenhouse gases and gobbles up huge quantities of resources, while urban sprawl devours natural and agricultural land. What if cities were not meant to grow forever? The sooner we protect our agricultural, natural and forest lands from artificialization, the more resilient we will be to future ecological risks and crises. The sooner we protect our agricultural, natural and forest lands from artificialization, the more resilient we will be to future ecological risks and crises. "Cities must - and can - become stationary," writes Philippe Bihouix. "They shouldn’t be frozen, but transformed and embellished, of exploiting the immense heritage already built. When we know that constructing a building requires 70 times more materials and produces five times more greenhouse gas emissions than renovating it, it seems obvious to adapt the existing buildings. It is necessary to limit the construction of buildings that are highly carbon-intensive and to use all the existing buildings as a priority to avoid going back to look for materials again and again and wasting them. So why do we insist on developing cities? What if the solution was in the shrinking cities model? In France, as in many countries, in Europe and in North America, this concept remains essentially an unthought of public policy. According to the philosopher Bruno Latour, "these territories, incapable of responding to the imperatives of economic and demographic growth, can on the other hand adapt perfectly to the 'new climate regime' that characterizes our era, and are capable of responding to another imperative, that of resilience." As Philippe Bihouix concludes in "La ville stationnaire": "It is our relationship with the territories that must evolve, by encouraging the redistribution of services and jobs, by working towards a new attractiveness of medium-sized towns, villages and the countryside. From now on, metropolises must no longer attract and grow, but swarm.”